Enregistrement No 70 : 21 Décembre 2184

Chez moi, sur Terre, c’est l’hiver aujourd’hui… Le début de la saison froide. Ce jour me glace le cœur. Ce matin, on m’a amené auprès de Namgou. J’ai cru comprendre que la personne qui m’emmenait était une sorte de gourou. Il me laissa seul avec elle quelques instants. Son visage, froid et rigide comme le reste de son corps, semblait encore sourire. On avait mis un bandeau sur son front. Je compris qu’on lui avait retiré sa pierre et, quelques instants après, le gourou vint me l’apporter accrochée à un pendentif.

– Elle a souhaité que ce soit vous qui la portiez. Nous n’étions pas d’accord. Nous avons essayé de l’en dissuader mais elle n’a pas changé d’avis. J’espère que vous serrez à la hauteur !
– Je ferais de mon mieux… Mais qu’est-ce que vous appelez « être à la hauteur » ?

Il sortit de son grand manteau une petite fiole remplie d’un liquide noire.

– Il y en avait, hier, dans les plats et les boissons et vous avez apparemment pu supporter. On appelle ça le « sang des morts ». Prenez en une gorgée avant que je vous remette la pierre de vie de Namgou. Vous garderez ce flacon et en prendrez une gorgée tous les jours.

Perplexe, je portais la fiole à mes lèvres et fus surpris de constater que ce n’était pas vraiment liquide. C’était comme si ce fluide entrait en moi sans passer par le tube digestif, un peu comme ces alcools forts qui s’évaporent en bouche avant de les avoir avaler, la sensation de brulure en moins. J’eus une légère ivresse qui dura moins d’une seconde et puis rien d’autre. Il me remit alors le pendentif autour du cou et m’invita à sortir. Sur le pas de la porte il ajouta une chose :

– Namgou nous a laissé un message pour vous, qu’on n’est pas sûr d’avoir compris. Elle a dit « dites-lui que je vais la chercher pour lui ». Je ne sais pas de quoi elle parlait, mais vous, vous comprendrez peut-être.
– Je crois, oui… Je crois que j’ai compris…
– Allez-vous rester ici ?
– Je ne crois pas. Je pense que je vais continuer ma route.
– Très bien. Vous faites bien. Il est important de savoir suivre son chemin, sans se laisser arrêter par les aléas de la vie. Faite un bon voyage et sachez que vous serrez toujours le bienvenu ici.

J’ai pu revoir, aujourd’hui, avec leurs ingénieurs, toutes les améliorations apportées au Colombus. Ils m’ont tout expliqué sur l’entretien de ces technologies et m’ont donné des pièces de rechanges, bien plus qu’il ne m’en faudrait. L’ordinateur de bord a été enrichi de données techniques et de cartes de la galaxie contenant tous les détails de leurs propres explorations. Ils m’ont dit qu’ils préparaient une expédition pour la Terre afin de prendre contact avec notre civilisation pour travailler main dans la main contre cette nouvelle menace. J’ai prévenu la Terre en leur envoyant un de mes courriers rapides.

image

Le destin s’acharne à arracher toutes les ancres que je pourrais jeter dans la vie, comme si je devais être condamné à l’errance éternelle. Ce soir, je regarde une dernière fois ce soleil rose se coucher sur cette planète. C’est curieux, cette couleur rose. Sur Terre, le coucher de soleil est plutôt jaune-orange… Je sens le pendentif de Namgou, peser lourdement contre ma poitrine. Demain matin, je repartirai.

                                             *** Fin de la première saison ***

par Damien Allemand

Enregistrement No 69 : 20 Décembre 2184

Je ne comprends pas trop ce qu’il se passe ici, malgré une traduction qui me semble très performante de la part d’Amar. Il y a une barrière culturelle, qui, je pense, restera infranchissable pour moi. Aujourd’hui, j’ai été convié à une étrange cérémonie. Ca ressemblait à une cérémonie d’enterrement pour Namgou, pourtant il m’a bien semblé qu’elle était encore vivante, allongée sur une sorte de lit de mort, très fleuri. Elle semblait heureuse, souriait. Il me semblait la voir respirer. Mais je n’en étais pas sûr. On ne me laissa pas m’approcher.

Il y eut ensuite un grand banquet. C’était comme une grande fête. Tous mangeaient de bon appétit. Je dois avouer qu’il m’était totalement impossible de déterminer la nature des mets. Que ce fut d’origine animale ou végétale, les goûts étaient très originaux. Je dois dire que j’y pris un certain plaisir. De plus, je ne sais pas si cela venait de la nourriture ou des boissons, mais je finis par ressentir une certaine ivresse qui n’était pas désagréable. Je suppose que ces aliments n’étant pas tout à fait adaptés à mon organisme, ils devaient avoir, pour moi, un effet hallucinogène. J’essayais de communiquer avec les convives pour comprendre un peu leurs traditions. Il était très agréable de voir à quel point j’étais bien reçu. Il me semblait faire partie de la famille, comme s’ils m’avaient toujours connu, moi, un être dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence quelques jours plus tôt. Je m’attendais à un accueil ou bien froid et craintif qu’on donne à l’alien venu d’un autre monde ou à être la victime d’une curiosité scientifique mettant en danger l’intégrité de mon corps. Bien au contraire, j’étais traité comme n’importe quel autre membre de cette société, avec bienveillance et sympathie. L’ami avec qui on converse de l’actualité et de la philosophie du quotidien. J’eus, à un moment, un échange très curieux, voire irréel, que je pourrais relater ainsi :

– Avez-vous de telles cérémonies chez vous ? Me demanda un vieil individu au regard très lumineux et dont la pilosité, un peu plus développée que chez les autres, formait de petites touffes blanches au bout de ses oreilles pointues.
– Vous voulez dire : est-ce qu’on fête ainsi la mort d’un proche ?
– On pourrait le formuler comme ça, oui, si votre traducteur est exact…
– Eh bien, disons qu’on est généralement moins festif… C’est plus calme, plus recueilli… On est plutôt triste et pas aussi joyeux…
– Vraiment ? Comme c’est curieux ! C’est pourtant un grand moment que de voir enfin l’autre côté. Chez nous tout le monde attend cela avec impatience !
– Ah ? C’est quand même inquiétant, non… ? On ne sait pas trop ce qu’il y a de « l’autre côté »…
– Oui, mais quand on le sait c’est fabuleux ! Vous verrez ! Cela vous arrivera un jour et, si cela se passe bien, vous en serez complètement transformé !
– C’est le moins qu’on puisse dire…

L’autre éclata de rire, me rendit mon oreillette et retourna converser avec les autres convives.

par Damien Allemand

Enregistrement No 68 : 19 Décembre 2184

On est arrivés sur sa planète plus tôt que prévu ! Ils sont venus nous chercher et, embarquant le Colombus dans la soute d’un immense cargo bien plus rapide, ils nous ont amené jusqu’ici. Je craignais un peu leur réaction et le premier contact m’angoissait. Allaient-ils nous tirer dessus sans sommation ? Allaient-ils me reprocher de ne pas avoir correctement pris soin d’elle ?  Me reprocher de l’avoir contaminer avec mes micro-organismes ?

Sans attendre d’être sur leur planète, on est sorti à leur rencontre dans le cargo. Elle en premier… Ils l’ont tout de suite pris en charge. Je ne l’ai pas revue depuis… J’avais préparé des oreillettes pour eux, pour la traduction. Ce qui me permit de communiquer tout de suite avec eux. Ils ne sont pas aussi bavards que pouvait l’être Namgou, mais j’ai quand même réussi à échanger un peu… Ils me sont, en fait, très reconnaissants de l’avoir ramenée, d’une part, et, surtout, d’avoir retrouvé cet appareil qu’ils avaient perdu depuis plusieurs semaines. Une mission de secours est immédiatement partie pour essayer de retrouver d’éventuels autres survivants, ou, à défaut, d’enquêter pour comprendre ce qu’il s’est passé. En guise de reconnaissance, leur premier geste a été de me proposer leurs meilleurs ingénieurs pour examiner le Columbus, remettre éventuellement en état ce qui nécessitait de l’être et y apporter des améliorations avec leurs propres technologies.

Ils m’ont aussi expliqué que cette planète n’était pas leur planète mère, mais une colonie, c’est pourquoi elle était encore peu peuplée et possédait de magnifiques étendues sauvages où la vie se développait à peine. Ailleurs c’était de grandes cités dont le modernisme dépasse de loin ce qu’on pourrait imaginer. Les gens se déplacent grâce à des modules individuels de transports ultra-rapides, qui les emmènent à n’importe quel étage de n’importe quel bâtiment en un rien de temps. Il suffit de programmer la destination et l’ordinateur fait le reste, calculant le meilleur trajet, évitant les autres individus dont le trajet est connu grâce à un serveur central. Les immeubles alternent, les zones de travail, les zones d’habitation et les zones de culture alimentaire. Ainsi tout est mélangé et la proximité réduit les couts de déplacement.

image

Je pense qu’il me faudrait des dizaines de pages pour décrire tout ce monde en détail, mais l’humeur n’est pas là. Je n’ai aucune nouvelle de Namgou et je n’ai pas le goût à rien. Je suis dans une chambre qu’ils m’ont donnée au sommet d’une tour dominant leur ville que j’admire, si cristalline dans la lueur rose du soleil couchant.

par Damien Allemand

Enregistrement No 67 : 16 Décembre 2184

Nous voilà sortis du mode replié avec dix jours d’avance. Les réserves d’énergie du Columbus sont quasiment dans le rouge. Les miennes aussi d’ailleurs. Je n’ai pratiquement pas dormi depuis une semaine. J’ai fait très peu de sport. Pas le goût à ça… Je vais tâcher de me reposer un peu et de maintenir un état musculaire raisonnable pour être en état de me déplacer sur cette planète, même si elle est légèrement plus petite que la Terre et donc de gravité moindre. On devrait y arriver d’ici quatre ou cinq jours. Le Colombus, tous ses panneaux solaire largement déployés, fonce à sa vitesse maximum, proche d’un centième de la célérité, une vitesse que je n’avais encore jamais osé tester… J’espère qu’il tiendra !

Namgou est sortie de la cabine et essaie, avec les moyens du bord, de les contacter. Autant, hier, elle me semblait au bord du gouffre, autant, aujourd’hui elle me semble avoir bien récupéré. La proximité des siens, sans doute. L’espoir d’une guérison proche ?  Je vais aller me défouler un peu sur des chemins de montagne !

par Damien Allemand